Mon regard traversa celui de Nyr'a. Je regardais la tigresse qui semblait absorbée par ses pensées, semblait même avoir oublié où elle était et ce qui l'entourait. Je la laissais le regard dans le vague, et l'observais sans vraiment y faire attention. Mes yeux bicolors se posèrent sur son regard, lorsque brusquement ses yeux semblèrent s'obscurcir. La tigresse sursauta, la fourrure gonflée, faillit tomber dans le précipice derrière elle. Mes muscles s'étaient crispés, je fus prêt à intervenir mais Nyr'a se rattrapa et sortit saine et sauve, léchant sa patte endolorie.
Le coeur encore battant, les yeux encore grands ouverts, je m'encquis rapidement de son état.

- Vous allez bien? Quelque chose ne va-t-il pas?

Tout en parlant je m'étais rapproché, constatant que la tigresse s'était entaillée la patte, sans doutes en se rattrapant à une pierre. Je fus soulagé de découvrir que la blessure me semblait superficielle. Il n'y avait rien de grave me semblait-il...

Quelques secondes passèrent, avant que la charmante Nyr'a me réponde, hésitante et confuse.
"Oui, oui... C'était juste un... mauvais souvenir qui m'est revenu à l'esprit."
Je baissais les yeux, ne sachant que dire. Il y avait des gens, qui, comme moi, avaient un passé lourd. Le mien ne l'était pas horriblement, mais il ne cessait de me hanter. Toujours et encore, brouillant mes rêves...
Après quelques instants Nyr'a se mit soudain à parler, comme si elle se sentait obligée de me raconter. Elle me parla de son passé, qui me toucha grandement. Entendre parler de pouvoir, de chef de clan... tout cela me rappela ma triste histoire. Puis lorsqu'elle me parla de ce fameux soir, de la trahison de son frère, de sa quête de pouvoir qui l'avait mené à tuer... j'ai pensé soudain à mon frère... Lui qui depuis toujours avait rêvé de pouvoir, lui dont le pouvoir était monté à la tête lorsqu'enfin il avait pris la place de notre père, lui qui avait mené le clan tout entier à l'extermination...
Je me sentis soudain lâche d'avoir abandonné mon clan lorsque ma mère me l'avait demandé. Je l'avais laissé mourir avec les autres, comme Matahari... Penser à ma douce compagne morte sur le champs de bataille raviva cette douleur qui continuait toujours de me brûler le coeur même avec le temps...
Nyr'a posa son regard sur le mien. Soudain je me sentis proche d'elle, mon passé et le sien avaient des similitudes, tout deux nous avions supporté la douleur de voir des êtres chers mourir, de voir à quel point l'ambition était dangereuse, la douleur de devoir abandonner les siens...

- Vous ne pouvez savoir à quel point votre histoire ravive les souvenirs de mon passé. Moi aussi j'étais dans un autre clan il y a quelques années. Lorsque mon frère a prit le pouvoir ma vie et celle des miens est devenue un enfer... Nous avons mené des guerres unutiles contre d'autres clans, j'ai vu mes proches mourir un à un, mon clan dépérir sous la faim et les blessures...

Ma vision se brouilla un instant, mes yeux se perdirent dans le vague aux souvenir d'un camp plein de tigres agonisants, morts de faims, malades ou blessés... De nouveau je soutins le regard de Nyr'a, avant de baisser les yeux.

- J'ai abandonné le clan sous les ordres de ma mère... Mais jamais je n'oublierais cette haine envers mon frère, jamais je n'oublierai tout l'amour que je portais à mon clan...

Le regard de braise de ma mère sembla flamboyer devant moi l'espace d'une seconde. Une partie de moi se demanda soudain si Lima était encore vivante... Non il étiat impossible que ma mère soit encore des notres. Lorsqu'elle m'avait ordonné de partir elle était agonisante... Tout ça à cause de mon frère, parce qu'elle s'était rebellée... Je me dis soudain que si je n'étais pas intervenu mon frère l'aurait tué... Dans mon regard une lueur haineuse s'embrasa l'espace d'un instant, avant de s'éteindre de nouveau... Le mal était fait, ma haine ne servirait à rien...

"La haine est veine. Elle brule les coeurs, c'est elle qui rend ses malheurs possibles. Banni la de ton coeur, c'est ce que je tente de faire, sinon elle te vaincra. Si tu te bat un jour avec ton frere, quel que soit l'issu du combat, tu serras perdant."
Nyr'a a raison... la haine n'est qu'un tor, elle nous ronge, nous hante... Elle n'ait pas raison d'être et pourtant elle nous envahit toujours à un moment ou un autre. Elle peut nous pousser à faire des choses odieuses... Pourtant je sais que même si je me trouvais face à Anakeil, je n'esquisserais pas l'ombre d'un mouvement. Ma mère m'avait trop appris à réfléchir, jamais dans ma vie je n'avais aimé les combats, je ne m'étais toujours battu que pour mon clan, parce que ma mère me disait d'écouter... Toujours j'étais resté pacifique, en dehor des conflits, je ne me rangeais jamais du côté de personne. Et là je savais que même si je détestais mon frère pour ce qu'il avait fait jamais je ne pourais l'attaquer, jamais je n'essairais d'accomplir ne serait-ce que l'esquisse d'une vengeance inutile. Anakeil était mon frère, le même sang coulait dans nos veines, même si je savais que lui et moi étions en totale oposition comme le noir et le blanc. Il était roux, j'étais blanc, son oeil gauche était bleu et le droit brun, moi c'était l'inverse. Il aimait se battre, je détestais la guerre... Il étiat ambitieux, irréfléchi parfois, j'avais passé ma vie à apprendre que la sagesse était la meilleur des choses... Je n'avais que quatre ans et j'avais l'impression d'en avoir cent...
Anakeil et moi étions frères, les deux survivants d'une portée de quatre, nous avions grandi ensemble, partagions les mêmes souvenirs d'enfance... De plus il était la dernière chose qui me restait de mes parents...
La voix de Nyr'a me fit revenir à moi...
"Si un jour je pars à la recherche de mon frere, s'il te plait, empeche moi de faire... ce que je ne devrais pas."
Je soutins son regard, avant de lui murmurer d'une voix rassurante:

- Si tel est votre souhait je vous le promet, demoiselle Nyr'a...

"Merci. Je vais redescendre, même le plus semplide des paysages ne me ferrai oublier ma faim."
Je saluais la tigresse en inclinant ma tête, avant de la regarder s'en aller en silence. Je me demandais pourquoi est-ce que je me sentais aussi proche d'elle. Nos histoires sont identiques, c'est peut-être ça qui me fait éprouver tant de sympathie à son égard. Nyr'a est partie avant de voir la terreur dans son clan, je suis peut-être resté trop longtemps... Mais une chose m'avait retenu. Matahari, ma compagne, et Lima, ma mère... La première est morte, la deuxième m'a prié de partir. Je n'ai jamais désobéi à ma mère... je suis parti...
Je revins soudain à la réalité, passais mon regard sur Nyr'a. La reverrais-je? Brusquement c'est comme si je sortais d'un sommeil. J'interpellais la demoiselle.

- Euh... La visite des terres Sun tiens toujours? Si vous voulez nous pouvons nous rejoindre demai à l'aube. Je vous attendrez au pied de ces montagnes, au bord d'un ruisseau que vous apercevrez en descendant. Prenez garde, n'essayez pas de boire cette eau, on ne nomme pas cette rivière le ruisseau enflammé pour rien...

Je regardais la tigresse dans les yeux.

- Je vous attendrai jusqu'à que le soleil soit complètement levé...

J'écoutais les paroles de Nyr'a et acquiesçais en silence, avec un sourire amical. Puis je le regardais faire demi-tour et disparaître, entamant la descente des pics rocheux. Je lui souhaitais bon courage intérieurement.
Je me dis qu'au moins demain ma journée ne serait pas un éternel recommencement... La compagnie de la demoiselle Nyr'a m'éviterai d'être hanté par les démons de mon passé...
Je clignais soudain des yeux, effaçant le vague dans mon regard. Je m'allongeais par terre, les patte en avant, admirant le paysage qui s'offrait à moi... Le vent sembla me murmurer quelque chose. Une phrase que ma mère me soufflait souvent en période de trouble...