J'étais allongée sur une couche faite de foin, de mousse et de paille, adossée au piédestal d'une statue décapitée. La pièce ronde et recouverte de paille dans laquelle j'avais passé deux jours m'étais familière. Trop familière peut-être. C'est ici que j'avais élu domicile dès mon arrivée chez les Wind. Cette pièce perdue au milieu du château, c'était ma maison. Les rayons du soleil à la fenêtre m'indiquaient que cela faisait bien deux jours que j'étais ici. Deux jours aussi que je m'étais laissé anéantir par cet amour que je portais à Flamme... De nouveau j'enfouis ma tête entre mes pattes, tentant d'oublier.
Une partie de mon esprit me soufflait que j'avais besoin de créer une nouvelle vie. Tourner la page, la déchirer, la laisser brûler comme l'herbe trop sèche en été. J'avais trop mal, ma vie était trop dure, mon secret trop lourd, mes fautes trop graves... Je devais tout détruire, tout reconstruire. J'écoutais cette voix qui me répétait cela depuis
déjà deux jours. Mais je ne voulais pas l'écouter. Je voulais qu'elle se taise, qu'elle me laisse vivre avec mes soucis, avec mon malheur, mes problèmes, mon passé... Et par dessus tout je ne voulais pas oublier Flamme. Il était tous ce qui comptait, ma raison de vivre... Pourquoi je disais ça? Il y a à peine une saison je me disais que l'amour n'était pas prêt de poser ses griffes sur moi... Et pourtant.
Qu'est-ce qui, hormis Flamme, m'avait tiré de ma terreur, de mon chagrin...? C'était grâce à lui que j'avais remonté du fond des ténèbres.
Désormais la seule chose qui me tenait en vie c'était lui. Et pourtant... Flamme n'était pas de mon clan, il était tout sauf le bienvenue dans mon cœur. Il y avait quand même élu domicile, il s'était creusé un nid au fond de mon cœur, ne voulait en sortir. Je ne tentais même pas de le chasser. Il était tout, avait pris une énorme place au sein de moi même, je ne voulais m'en détacher car c'était sa pensée qui me tenait éveillée...
Je me souvins de la première fois que je l'avais vu. Ce n'était qu'une boule de poil intrépide qui m'avait agacé... Oui j'avais détesté Flamme, je l'avais détesté à cause de sa chef, de son mentor... Puis au fil du temps je l'avais revu, j'avais chassé avec lui, j'étais devenue son amie, l'un des seuls...
Lors de ma grande détresse, je l'ai retrouvé. Il a fallut qu'on risque tous les deux de mourir pour me rendre compte à quel point il était important pour moi... pour comprendre que je l'aimais. Mais voilà. Flamme était d'un autre clan, tout nous séparait, seul mon amour pour lui nous liait. Et je n'étais même pas sûre qu'il en soit de même pour lui. Et il pourrait très bien se faire punir par ma faute. Si sa chef nous découvrait... Mais pourquoi est-ce que j'irais sur ses terres? Pour le voir. SOn absence était un rou béant dans mon coeur, que seule sa présence et la sienne seulement pouvait combler. En entrant sur ses terres je serais pourtant égoïste. Je lui ferais courir des risques pour rien... si il ne tentait pas de me chasser de ses terres. C'est vrai, je n'aurais rien à faire chez les Sun...
Mon coeur fit soudain un bond. La vision de mon clan qui me fixait hostilement... "traitresse! traitresse!"... ce murmure qui emplissait mes pensées... cette confusion, cette terreur d'être ainsi traitée par mon clan... je me souvenais que j'avais plusieurs fois fait ce rêve. Mais jamais ce n'avait été Flamme la cause... cette personne n'avait été autre que Torrack, mon meilleur ami... qui n'était pas non plus de mon clan.
Je me souvins de cette horrible sensation qui méprenait toujours lorsque je faisais ce rêve... était-ce que que Flamme ressentait en ce moment? J'avais toujours eu peur que ça m'arrive, qu'à cause de Torrack je me fasse chasser de mon clan... En fait n'était-ce pas plutôt moi la fautive, dans ce rêve? Dans la réalité les rôles avaient été inversés... J'avais soudain très mal, très peur...
* Oublie tout, tourne la page...* NOOOOON! Je ne voulais pas. Je rugis... l'écho se répercuta dans tout de château comme un cri d'horreur et de haine. Je ne voulais pas l'oublier... *en l'aimant tu lui fait du mal. C'est ça que tu veux? Lui faire du mal?*

- NOOOOOOOOOOOON!

Je me levais d'un bond, le visage déformé par la terreur. De nouveau mon cri traversa les murs du chateau, se répétant jusqu'aux fondations du bâtiment. Ma patte balaya l'air, faisant voler de la paille un peu partout. Non, je ne voulais pas lui faire mal... mais je ne voulais pas l'oublier... *tu es si égoïste*...

- TAIS-TOI!! Tais toi! Tais-toi...

Mes mots répétés se transformaient peu à peu en murmurs, jusqu'à ce qu'ils ne deviennent qu'un souffle inaudible, s'éteigne totalement comme une flamme qui n'a plus d'oxygène pour brûler. Le visage mouillé par les larmes, je me roulais dans la paille, sanglotant silencieusement...

Tu n'étais plus là... Et pourtant je n'étais pas morte. Mon coeur battait toujours... Ton absence me hantait, elle emplissait mon esprit, une sensation de manque, un trou béant dans un coeur déchiré... Ma seule issue était la mort. Disparaître. Disparaître de ce monde, de cet univers, ne plus jamais rien voir, ne plus jamais rien entendre, ne plus jamais souffrir, faire souffrir... Oui, disparaître tout simplement, si facilement... Pourtant je ne me résignais pas à abréger mon existance. Une voix, toujours la même, qui me disait que j'étais trop jeune, que j'avais plein de choses à vivre, tant à faire pour mon clan, qu'un membre en moins pouvait affecter pour le futur, que le clan avait besoin de moi. Et moi dans tout ça? N'étais-je qu'un pantin dont le destin s'amusait à tirer les ficelles? Une esclave de l'avenir, un personnage dans un livre déjà tout écrit, un être qui ne peut se détourner de son chemin, un personnage qui ne peut qu'observer les pages qui se tournent, les chapitres qui défilent?
Mais comment résister à ce destin qui m'entraînait si subitement, à ces pages qui tournaient sans cesse, comment retenir ces chapitres qui s'écrivaient sans moi et se terminaient trop vite?
Un chapitre semblait prendre fin. Celui où tout semblait facil, celui où je pouvais voir Flamme... La fin du chapitre était d'un si grand suspense... Qu'allait devenir mon amour avec Flamme? Qu'allait-il advenir de moi?
J'eus soudain l'envie de tout envoyer en l'air, de tout recommencer... j'aurais tant aimé être l'auteur de mon histoire.


De nouveau mes pensées se tournèrent vers toi. Pourquoi la vie était si difficile? Pourquoi m'étais-tu si cher? Pourquoi est-ce que j'avais autant envie de disparaître en te sachant si loin de moi? Pourquoi avais-je le coeur brisé quand je me disais que sûrement, tu ne m'aimais pas? J'aurais tant voulu que tu m'aimes, j'aurais tant voulu te voir à jamais près de moi...


Mes yeux se fermèrent, j'essayais d'affacer ton image, celle qui occupait mon esprit entier. Mais comment effacer ce qui est gravé? Ton nom, ton visage, ils étaient à jamais gravés dans la pierre qu'était mon coeur...
"Liarivy où es-tu ?!! LIARIVY !!!"
Mes yeux s'ouvrirent, mes oreilles se dresserent. Je me redressais péniblement, le corps couvert de paille. Est-ce que j'avais rêvé? Cette voix qui m'appelait...
"LIARIVY !!!! REPONDS-MOI !!!"
Non je n'avais pas rêvé. Il y avait bien quelqu'un dans le château. A sa voix on devinait qu'il était perdu. Heureusement en entendant l'écho et ses répercutions je sus immédiatement qu'il n'était pas très loin d'ici. Entre cette pièce et l'entrée principale. Je me relevais soudain et m'élançais dans les couloirs du château.

- J'arrive!!

Mon coeur battit soudain plus fort. Un souvenir me parvint... Celle d'une personne sur laquelle j'avais crié pour rien, une personne à qui je devais des excuses. Amarok.

Amarok esquissa un sourire réconfortant, qui me fit oublier mes malheurs.
"Ma mère m'a dit un jour qu'on ne devait pas être ce que les autres veulent qu'on soit mais ce que nous voulons être, ne pas vivre pour les autres mais pour nous même. Tu n'as pas à t'adapter à nous, c'est à nous de nous adapter à toi. Et...euh..., c'est pas grave pour la dernière fois."
Une larme coula sur ma joue. Amarok était tellement gentil... je ne l'imaginais même pas pouvoir en vouloir à quelqu'un, ou même se mettre en colère. Pour son sang froid et son pardon je l'admirais... Je repensais à ses paroles. D'n côté elles m'étaient réconfortantes, mais en l'entendant dire que nous devions être ce que nous voulions être, je me dis que ce que j'étais réellement, je n'avais jamais voulu l'être, que c'est pour cela que j'avais créé cette autre personalité si attachante. Cette apparence, je l'avais voulue, mais ce n'était qu'un masque, une protection, car derrière ce masque je me sentais horriblement dangereuse, horrible, colérique... Mais je me demandais soudain pourquoi est-ce que j'étais devenue ainsi. A cause de la mort de ma mère, de la disparition de mon frère... J'avais perdu la parole durant pluseurs semaines, faible et fragile face à toutes ces épreuves... Puis j'étais devenue bizarre. Je m'énervais d'un rien, je hurlais, je pleurais, je me battais... J'avais eu peur de moi même, et de nouveau je m'étais isolée. C'est Amala, ma mère adoptive, qui m'a sorti de tout ça. Elle m'a appris à contrôler cette colère, cette rage. J'étais devenur une tigresse drôle, enfantine, un peu bébête...
Je me dis soudain que si j'avais fait ce masque c'était peut-être pour cacher un autre masque, un masque que je ne voulais pas, qui s'était imposé de force à moi, qui s'était collé durant mon isolement et mon silence...
Un masque pour cacher un autre masque... Mais qu'y avait-il derrière cette barrière infranchissable? Derrière cet ultime masque de colère? Un coeur perdu, fragil, une tigresse faible et terrifiée, anéantie par son passé, par la difficultée des choses... Une tigresse que je ne conaissais pas moi-même.
Elle avait disparu derrière ce masque, car les tigres faibles et sensibles ne survivent pas longtemps. Elle avait été plongée dans le noir, incapable de ressurgir car la colère restait collée à elle... J'étais perdue sans cette coque qui me protégeait...
De nouveau je revins à la réalité. Je regardai Amarok avec réconfort, avec gratitude.

-Merci...

Puis mon sourire changea, se changeant en sourire enfantin, inconscient, rieur.

- Bon, je suppose que je vais devoir te montrer le chemin de la sortie, t'as l'air de t'être perdu!

Je me mis à rire et fis volte-face, passant ma queue sur son visage en l'incitant à me suivre à travers les couloirs...