Il y avait plusieurs jours que je n'avais pas vu Darkill, ni senti sa présence sur les terres des Rains. Je m'ennuyais horriblement, alors j'avais décidé de quitter le territoire seule, sans Papa ni personne d'autre. Longeant dangereusement les frontières, j'avais enfin atteind les plateaux sans encombre, même après avoir pénétré l'espace de quelques minutes la prairie des Suns. J'apercevais les quelques rayons du soleil qui arrivaient, loin au fond de la prairie. La nuit allait bientôt disparaître pour faire place au soleil. Je préférais de loin la nuit, même si le soleil me paraissait toujours merveilleux, lui qui était le rois du monde. Plus tard, c'est comme lui que je voudrais être. Admirée, vénérée, et surtout invincible... Quand je serai grande et que je prendrai la place d'Endless, je deviendrai invincible. Mais tout ça, ça me paraissait bien loin. Je n'avais pas encore deux ans, et le moment où je ne serai plus un tigron n'arrivait pas, je l'attendais toujours avec impatience. Mais comme on me l'avait dit, peu importe l'âge, c'est le savoir et l'acquisition qui compte...
En attendant, donc, je devais m'entraîner. Mais comment s'entraîner quand nos mentors ne sont pas là? Toute seule, réviser, devenir plus forte. Les effluves d'une jeune gazelle flottaient dans l'air, vieilles de dix minutes tout au plus. J'entrepris de suivre la piste, partant au petit trot, nez parfois en l'air et au ras du sol à d'autres moments. Les empruntes laissées par la gazelle étaient claires sur le sol pourvu d'herbe rase.
Quelques instants passèrents, avant que je retrouve la bête en train de brouter le peu d'herbe qu'offraient les plateaux. Je m'approchais à pattes de velours, mes muscles déjà puissants pour mon âge roulant sous mon pelage foncé, prêts à me propulser sur la bête.
J'étais à présent trop prêt pour qu'elle ne me remarque pas si j'avançais plus en catimini. D'une poussée énergique, je m'élançais vers la petite gazelle, mes pattes battant le sol aussi rapidement que je le pouvais. La gazelle, alertée, se mit à courir à son tour. J'étais déjà à moins de deux mètres d'elle. Je tentais le tout pour le tout, bondissant sur son dos, plantant mes longues griffes dans sa fourrure. L'animal tenta quelques ruades, avant de tomber par terre sous mon poid. Ses longues pattes n'étaient pas très robustes. Je me fis un plaisir de le lui faire constater, en broyant sa patte avant avec mes crocs. L'animal gémit, je remuais les moustaches en signe d'amusement, avant de lui bondir à nouveau dessus et de lui déchiqueter l'oreille.
M'éloignant, je regardais la bête se relever avant de retomber par terre. Je lui griffais les flancs, avant de me percher sur son dos et de lui mordiller le cou. La petite gazelle tentait de me faire fuir, mais elle était incapable de me déloger, ni de résister à mes crocs. Alors que je posais ma patte sur sa tête, elle m'envoya bouler en arrière, sans même tenter de se relever.
Une lueur mauvaise passa dans mon regard. Je me mis face à elle, et d'un coup de patte lui crevai les yeux. Je lui griffais de nouveau le dos, arrachant des touffes de fourrure sous les plaintes de l'animal. Je ris en l'entendant gémir, avant de le griffer pour le faire taire. Sans succès. Enervée qu'il ne m'écoute pas, je mordis sa cuisse à pleine dents.
Bientôt, trop tôt à mon goût, la gazelle cessa de se débattre, de gémir. COmme morte. Mais je voyais encore ses flancs se soulever rapidement. Je préférais quand mes proies résistaient longtemps. Tant pis. La gazelle ne m'amusait plus, et je lui déchiquetais le cou une dernière fois, avant de m'allonger un mètre plus loin, la regardant se vider de son sang, nager dedans... Les oreilles dressées, j'assistais au spectacle tout en regardant le soleil se lever, les sens aux aguets au cas où quelqu'un viendrait me voler ma proie.
Un dernier souffle, plus bruyant que les autres, et je vis la bête mourir. Je me redressais, fier de ma victoire, quand le vent m'apporta soudain une nouvelle odeur, celle d'une femelle des Sun...